Beaffle #2 : Bertrand Cantat

Chronique en direct sur Radio Néo

Pas plus tard qu’en fin de XXè siècle, j’ai découvert le rock français. Le rock français. Pas les textes de CE2 d’Aubert qui rêve d’un monde sans les branlettes frénétiques de Bertignac sur son horrible Gibson.
Non, le rock français. Celui de Noir Désir. Noir Dez comme on dit. La poésie des écorchésla chaleur des rifts de Teyssot-Gay, la rage des rythmes de Barthe, les lignes fleuves de la basse de Videlec puis de l’enfant Roy et les bouquets de nerfs de Cantat. C’est avec Noir Dez que je me suis dit que faire de la musique c’était aussi dire des trucs. Qu’on pouvait être engagé.
Pas genre Cali qui ferait mieux d’écrire de bonnes paroles au lieu de la prêcher comme dirait Orel, mais avec des vraies convictions et des trucs à raconter.
Et je me suis mis à lire la musique en plus de l’écouter.

Alors forcément quand j’ai vu hier le retour de Bertrand Cantat, filmé par mon pote Rod, ça m’a bien fait plaisir. Ce fut une longue attente avant de s’élancer en presque solo. Trois ans après le très moyen Temps des Cerises et plus de 10 ans après ses dernières collaborations artistiques j’étais content. J’exclus volontairement Choeurs. J’en aurais presque oublié que chaque retour artistique de Cantat ne pouvait se faire sans l’écho des casseroles dans les longs couloirs de l’opinion publique qu’il traine depuis la mort de Marie Trintignant.

Putain. Cantat / Trintignant. Un des couples les plus explosifs de la scéne artistique. Ecorchés vifs, drogués, violents, ils avaient deux personnalités tellement fortes qu’on se demande comment ils ont pu se foutre ensemble. Enfin finalement on s’en fout. Cantat a tué Trintignant. Pas question de refaire ni l’histoire, ni les débats ici. La justice l’a fait et a condamné Cantat. Il a fait ce qu’on lui a demandé : purger sa peine et prison et fermer sa gueule. On pourra toujours dire que c’est peu, que c’est moins que certains braqueurs ou lui trouver des excuses. Après tout on s’en branle. Les seuls qui peuvent en juger sont des personnes dont c’est le métier. C’est ce qu’on appelle la justice. Certes, ce n’est pas parce qu’il y a eu des dérives avant dans la recherche de la justice qu’il faut arrêter la recherche de justice. Et c’est pas moi qui le dit, c’est Bertrand.

Mais parfois le tribunal populaire prend le dessus. A l’arrière des taxis, au son de RMC, on défend un mec qui tue un autre dans la rue pour se venger (ou de se défendre, suivant comment on le voit). Chacun y va de son style et en grand pyromane social, oriflammes déployés sur les internets, alimentant le grand incendie sur la scène médiatique. Et c’est parti.
Tout comme j’ai pas d’avis sur l’histoire du bijoutier de Nice, je n’en ai pas sur celle là. Mais je n’ai pas envie de fermer ma gueule quand il n’y a pas à la fermer. Parce qu’on peut ne pas être d’accord avec une décision de justice. Auquel cas chaque partie, dans ses conditions bien définies par la loi peut en faire appel. Mais je déteste les lynchages médiatiques. De toutes façons je déteste quand tout le monde est d’accord. Accepter la démocratie en tant que dictature de la majorité sur des minorités m’est déjà difficile, mais voir des visages et des figures à travers la France se prendre pour de sombres héros bien amers en débattant de sujets qui les dépassent, me laisse pantois.

Septembre, en attendant, est terminé. Avec lui j’ose espérer les vils débats sans intérêt, et les jugements de valeurs morales subjectifs. Tellement subjectifs qu’on en oublie un peu, entre autre, le poivreau Johnny Hallyday qui longtemps, a défoncé la gueule d’Adeline Blondieau devant un Tout Paris totalement indifférent. Parce que habilement montée en épingle, l’affaire Trintignant n’est même pas devenue le symbole des femmes battues mortes sous les coups de leurs conjoints. Elle n’est qu’un règlement de compte personnel vomi dans les journaux à tord et à travers, étalé à l’endroit et à l’envers sur tous les plateaux qui voulaient bien servir de laverie à linge sale.
Tout me donne mal dans cette histoire. A la longue, un peu de dignité et de hauteur dans le débat n’aurait pourtant pas fait de mal. Dix ans après, je ne comprensd plus qu’à chaque fois que le nom de Cantat surgit, chacun ai besoin de donner son avis. Certains pour l’accabler, d’autres pour le défendre. Pour l’accabler, inutile de lui faire de la pub. Pour le défendre, inutile de lui refaire de la pub.
J’aimerais qu’un jour en France, on puisse écouter Bertrand Cantat pour ce qu’il a à faire écouter. Pour le disque qu’il a à faire passer et pas pour le passé d’après ses disques. Pas seulement parcequ’il a payé sa dette la société et qu’il n’y a qu’à la justice qu’on peut s’en prendre si l’on pense que ce n’est pas assez, mais aussi parce que nous laissons une seconde chance à nombre de gens, qu’ils soient connus ou pas, et que Cantat bénéficie depuis 10 ans d’un traitement à part.

Rien ne s’efface jamais, et personne n’a la volonté d’oublier. Mais aujourd’hui j’aurais aimé que la violence des attaques apprenne à dormir et qu’on écoute la sobre prière de Cantat pour ce qu’elle est. Qu’on apprécie le texte d’un être humain comme les autres, avec ses faiblesses, ses erreurs, ses excès, ses colères, ses mots, ses maladresses, ses passions et ses désirs.
Moi il me touche. Et si je met des je partout dans mes chroniques à la con, c’est parceque je ne parle toujours que de ce que je ressens dans mon petit moi à moi. Chacun est libre d’aimer Cantat ou un autre, d’aller à ses concerts ou à celui d’un autre, de dire que c’est bien ou mauvais. Mais personne n’a le droit de rejuger un homme qui l’a déjà été.

Alors s’il vous plait, veuillez rendre l’âme à qui elle appartient.

Benjamin Charles

Photographe, réalisateur, consultant social media & content

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