Video City : entre fascination et malaise

Juin 2015. Quelques jours avant la tenue de la VidCon (qui vient alors de fermer ses portes pour la 5e fois) française, la première convention dédiée aux créateurs YouTube, la nouvelle tombe abruptement : l’événement est annulé. Tous les fans seront remboursés, mais les frais annexes de ceux qui ont dû réserver hôtel et train, souvent accompagnés, ne seront pas pris en charge. En trame de fond, une forte mésentente entre les organisateurs (Mixicom en partenariat avec M6) et ceux qui sont la caution d’une partie des créateurs, sur fond de marques un peu trop présentes. Quand la nouvelle date sera annoncée, elle sera amputée de la plupart des e-sportifs et des youtubeurs gaming.

A l’inverse de VidCon, Video City ne présente aucune réelle conférence autour du business et des enjeux YouTube, seules quelques animations de kermesse sur la grande scène pendant que des milliers de jeunes font la queue dans un décors très sommaire de barrières et de branding. Il faut dire que les sponsors sont légions : Fanta pour le naming, Riffx du Crédit Mutuel pour le sponso principal, puis Fun Radio (groupe RTL), D17 (groupe Canal+, co-organisation et propriétaire de Studio Bagel), W9 (groupe M6, co organisateur et propriétaire de Golde Moustache), tipeee, Kaporal, Ricoh, Sinful Colors, Divimove (MCN), Asus, Insolites Board, Créations & Savoir Faire, Conservatoire du Maquillamaisge, Vélo Smoothie, Bic, Make Up For Ever, Enorme TV. De quoi rentabiliser la location du lieu (à 6 chiffres) mais visiblement pas de quoi payer tous les créateurs, malgré les milliers d’entrées vendues (20€ la journée, 35€ les deux jours). Les tarifs varient entre 150 et 300€ par jour de présence, avec ou sans défraiement en fonction des négociations.

Ce qui est marquant à Video City c’est qu’on retrouve deux grosses catégories de talents : ceux qui sont entourés et professionnalisés et les autres. Les premiers sont dans un modèle qui ressemble à celui qu’ont mis en place les plus grosses MCN américains comme Maker ou Fullscreeen, à base de cross-promotion et de tentatives de 360°. Pourtant rares sont professionnels du milieu dans les allées. Mixicom, principal organisateur du salon, récemment racheté pour 19M€ par Webedia (qui détient également Melberries) règne en maître sur son hall et mis à part Divimove, présent sur le stand de Frementle et Golden Moustache, présent sur l’espace InDaPlay de Fanta (géré par M6), aucun MCN n’a de stand sur la convention. Tous les agents et managers ont d’ailleurs été exclus des invitations.
Sous le manteau pourtant, on parle transfert (comprendre « passer d’un MCN à un autre ») et en souterrain le salon ressemble d’avantage à un grand mercato qu’au Festival de Cannes. Pendant la période de promotion du festival, plusieurs invités signeront d’ailleurs chez le principal organisateur qui s’est parfois servi de ses rendez-vous Video City comme d’un espace de recrutement. L’autre catégorie de créateurs sont ceux qui ne comprennent pas le business dans lequel ils pataugent. Signés dans un MCN sans en comprendre ni les bénéfices (ou les pertes, ce qui est le plus fréquent), ni les enjeux, ils rêvent autant d’être dans une table à signer des autographes qu’à rencontrer leurs idoles. Dès lors, la signature en MCN, accepter de travailler pour des marques, venir à un salon payant sans être ni payés ni déclarés en incitant sa communauté à le faire, sont autant de moyens de ressemble en apparence à la célébrité qu’ils désirent.

Les allées en sont remplies. Il n’est pas rare de croiser un attroupement autour de quelqu’un qui n’a ni stand ni accréditation, qui a payé sa place mais dont la notoriété est tellement concentrée dans les visiteurs qu’il en devient une star pour eux, devant les yeux éberlués de journalistes un peu dépassés tournant à la dérision la situation qui leur semble si virtuelle, alors qu’ils ont parfois devant eux des personnalités faisant plus d’audience que leurs médias. Devant un alignement de box blancs dignes du salon de l’agriculture, un journaliste d’une grande radio me parle de mode éphémère. Il y a fort à parier qu’on disait pareil de la télévision après la guerre. Sans doute les mêmes qui ont été réfractaires aux rédactions web il y a 10 ans.

Ce qui émerge de Video City est bien plus profond et puissant qu’une simple mode et la réussite pendant 5 ans de la VidCon ne peut que conforter dans ce sens : la génération 2000 se détourne ouvertement des médias traditionnels. Nés alors qu’on diffusait Star Academy et que les industriels de la culture rejetaient internet, ils ont compris qu’ils pouvaient s’affranchir des médias pour devenir les stars. Parce que c’est bien d’une génération de wannabe stars (et non artistes) que la génération 2000 est en train d’accoucher. Dans les allées c’est celle que les plus âgés appellent « la nouvelle génération de youtubeurs », en référence à la première génération, popularisée en France par Norman et Cyprien. La nouvelle génération serait insipide, basée sur l’image et avec des contenus qui seraient tous les mêmes. Ils en oublieraient presque qu’ils sont tous issus de la « génération podcast », format dont ils se détournent depuis peu.

La notion de starification est omniprésente pendant les deux jours de salon et dépasse autant le public jeune, ses parents, les journalistes et les créateurs. L’événement est d’avantage basé sur la mise en avant des youtubeurs en tant que personne au milieu de multiple marque que sur ses contenus ou ce qu’il produit. Il est loin le temps du projet Video City et de ses animations permanences conçus pour et par les créateurs.
En arrivant par la porte V, les VIP (c’est ainsi que les décrivent leur badge) sont séparés de l’espace fumeur public par une grille dont il ne faut surtout pas s’approcher. Un vigile ajoutera même qu’il ne faut pas leur parler parce que ça les énerve et que ça créé des mouvements dangereux. Don’t feed the public. La sécurité est d’ailleurs au cœur du salon. Plusieurs très jeunes youtubeurs sont présents, parfois déclarés, parfois non. Plusieurs mineurs se sont vu retirer de l’affiche dans les derniers jours et déprogrammés pour des raisons légales. Le travail des mineurs est pourtant tout à fait possible lorsqu’il est prévu en amont. Pour éviter tout problème, les organisateurs avaient prévu une armée de gardes du corps pour permettre aux créateurs de circuler entre les différents espaces. Les plus gros sont néanmoins restés cloîtrés dans un espace VIP où se côtoyaient les stars du net et de plus petits youtubeurs leur courant après pour un selfie. On y retrouve les deux mêmes catégories de créateurs. Les professionnels, habitués des foules, des conventions et rodés à l’exercice éprouvant des signatures à la chaîne. Et ceux qui leur ressembler, qui s’aventurent dans la meute pour prendre des photos devant un parterre de jeunes composés à 100% de leur public, appelant parfois la sécurité pour se déplacer, tant pour leur confort que pour l’importance que donne leurs massifs accompagnateurs. De gros poissons dans une petite marre.

La marre est d’ailleurs tellement petite que certains égos s’y trouvent à l’étroit. En même temps que les personnages virtuels deviennent réel aux yeux de ceux qui hier encore les regardaient à travers un écran, les inimitiés d’un tweet où d’une vidéo se personnifient. Deux grosses youtubeuses beautés qui refusent de se croiser. Deux spécialistes du muscle qui s’écharpent dans l’espace VIP. Trois humoristes qui s’insultent dans une allée. Petits règlements de compte entre créateurs. Rumeurs sur les MCN. Piques contre les organisateurs. Une vaste cours de récréation qui ressemble finalement à n’importe quel autre business de l’entertainment en vase clôt.

Malgré une organisation amateure (pourtant 1,4M€ de budget géré par Mixicom qui vient de l’événementiel) dans une déco sommaire, Video City aura eu le mérite de réunir la presse français au grand complet ce que son pendant indépendant au budget bien inférieur, la Cavicon, n’a jamais su faire à Lyon. Alors que YouTube s’arrêtaient aux portes des pages numériques des magazines économiques où dans certaines colonnes people spécialisées, Video City Paris aura permis de montrer cette facette du web méconnue du grand public, et, sans doute, de poser les bases d’un business encore naissant.

Benjamin Charles

Photographe, réalisateur, consultant social media & content

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